Scott Ramon (Kid) Mes(Cudi) est l’un de mes artistes préférées. Mon amour (oui, je suis véritablement un fan, je parle donc d’amour) pour lui a commencé, comme pour beaucoup de mes coups de coeur musicaux, par hasard, dans un bar d’une petite ville de banlieue québécoise. Je le traine avec moi depuis. Son univers si particulier se construit depuis maintenant deux albums qui avaient été précédés d’une mixtape qui faisait déjà s’interroger sur l’avenir (musical) de ce jeune rappeur de Portland, Ohio (le même état que de The National, un autre de mes groupes favoris.
Alors qu’il nous contait l’histoire du man on the moon sur ses albums, divisant les tracklists en chapitres, invitant différentes personallités du hip hop moderne américain, et laissant la rêverie à portée d’oreille avec ses instrus lunaires, synthétisées, flottant à la limite de la constellation pop (en s’entourant de Rattatat et de MGMT pour son single et énorme tube Pursuit of Happiness), de l’électro et du hiphop, la date du troisième volet fut repoussé l’an dernier, nous offrant fin février ce disque, entièrement conçu en collaboration avec son ami le producteur Dot Dat Genius, qui avait déjà participé précédemment avec le jeune rappeur. Quelques jours avant la sortie de cet album, ils relâchent sous le nom de Kid Cudi le single « Doze of Doppeness », révélant un morceau joué en live depuis des années. Laissant aux fans de quoi retrouver leur loner de la lune et apaiser leur attente tout en les entrainant déjà sur ce que sera le fruit de ce nouveau projet musical, qu’il voulait plus rock que ses précédents ouvrages (où il affichait déjà un intérêt pour ce genre en s’essayant à la guitare. On se souvient du single Erase Me où il apparait en Jimy Hendrix, guitare en main pour un morceau de rock FM mignon, mais on apprécie l’effort que n’aurait pas renié Weezer).
En lançant le disque et en attendant les premières notes avec impatience, j’ai espéré trouver le changement qui justifie la création de cette nouvelle entité musicale, qui se démarquerait des précédents travaux du Kid. A un âge si jeune, dans une carrière musicale encore jeune mais précoce et de plus en plus mature, il glisse constamment vers de nouvelles pistes, et donc de nouvelles tentatives, dans la recherche de ce que pourrait être SA musique, car une chose que l’on peut lui accorder facilement, c’est qu’il est un des rares à savoir transmettre un univers et une personnalité aussi facilement, sa musique dégage cette impression évidente d’avoir à faire avec quelqu’un d’unique. Le bonhomme nous fait voyager depuis des années dans un univers qui n’est finalement que le sien, qu’il continue d’explorer inlassablement.
The Arrival, « Ne détachez pas vos ceintures avant l’arrêt complet de la navette. Le personnel de bord vous souhaite un agréable séjour sur Wizard Island. » Une légère pression monte tout au long de cette intro, on ne sait pas encore ce que l’on trouvera une fois débarqué, et c’est comme si la porte s’ouvrait lentement, nous laissant imaginer une dernière fois toutes les possibilités. La musique des réacteurs finit de s’éteindre, nous sommes chez les WZRD, il fait sombre, l’atterrissage présageait une ambiance étouffante et les premiers accords de High Off Life se dirigent vers nous.
Fin de la métamorphose du Rager de Cleveland. Il prend ses distances avec ses origines, et attaque l’album avec un ton résolument plus rock, plus lourd, coupé des influences hip hop qui l’ont vu apparaitre pour rejoindre un bain plus grand. La batterie martiale et les riffs rageurs ont libéré la pression de l’intro, ça crie pendant les refrains, pas besoin de tailler le diamant. Pas de flow tranquille et ensommeillé sur ce morceau, il le fallait pour passer à la vitesse supérieure.
Car ici pas d’album à la Lil Wayne, « pour faire du rock », comme s’essayent parfois les rappeurs pour des raisons bien souvent foireuses. Ici l’influence principale de la guitare est d’élargir simplement l’espace trop restreint de sa conception de la musique. Chaque influence trouvera ses branches dans quelque chose de plus grand. Plus proche des spotlights que le petite monde de l’indé, Cudi se permet lui aussi, et avec brio, à jouer l’hybride, à mélanger les textures pour forger une discographie impeccable. Et c’est ce dont on se rend compte dès l’intro de The Dream Time Machine où le terme hybride prend tout son sens. Il y a quelque chose d’organique dans cette musique, et la dureté de la guitare s’est fendue sous les coups de baguettes des Wizards. Ici elle est douche, lointaine, participant comme tout autre instrument ou arrangement à la conception d’un des meilleurs morceaux du disque, puisqu’on y retrouve tous les éléments de sa musique d’alors, plus libérée, grandie, presque apaisée. Nous sommes loin du titre précédent qui était une mise en garde.
Attendons nous à être surpris, à ce qu’ils jouent avec nos oreilles, chaque titre se démarquant du précédent. Love Hard retrouve ses guitare, on entend des rires, des cuivres. Un beat s’installe. Un titre plus festif, mais aussi plus dense, j’aimerais voir un clip pour ce morceau, juste pour avoir droit à un Pursuit of Happiness 2. En deuxième partie, après l’exaltation, arrive une mélancolie technoïde, pleine de synthétiseurs, plus grave. Schizophrène, comme en fait l’album dans son entier.
Toujours des guitares et un son lourd, Live and Learn est un titre un peu en dessous après la première partie de cet album dans ses premières minutes. Le rythme néo tribal est trop formaté, il est intéressant de constater l’usage constant de guitare et la volonté de faire un morceau rock. Le titre n’est pas vraiment intéressant, car beaucoup d’autres titres de ce genre sont bien plus intéressants. Etrangement, la fin du morceau, entièrement instrumentale, est surprenante, difficile d’imaginer ce genre de sonorités répétitives sur un album qui sera écouté par beaucoup de monde, attendu par tou-te-s celles et ceux qui ont su s’imprégner de la musique du Kid. Un titre à la base très faible devient instantanément celui qui aura musicalement le passage le plus intéressant avec cette outro quasi sludge.
Reboot de la machine, Brake démarre tranquillement et à sa façon après l’arrêt de la machine. On retrouve cette ambiance un peu pesante, des murmures, une ligne de guitare et de synthé répétittives, hypnotiques. Le voyage continue après un mauvais coup sur la figure, on se réveille les yeux encore collés de fatigue. Et on traine sur les traces floues qu’ont laissé les deux compères.Premier single présenté au public l’an dernier. Alors que seul,il était difficile de le trouver réellement appréciable, il prend tout son sens en milieu d’album, excellente transition après Live and Learn qui trouvera certainement un intérêt nouveau à la prochaine écoute. Alors que les morceaux se succèdent comme différentes balles de jonglages dans les mains d’un clown, qui selon l’éclairage nous apparait triste ou rageur, excité ou contemplateur, ses mélopées lunaires s’embrasant parfois à la lumière d’un soleil plus rageur. La magie des WZRD est d’avoir doté de plus d’une ombre la silhouette du Man on the Moon, Dot Dat Genius en parfait architecte de ses rêveries.
Et c’est un autre bond en avant pour ce Teleport 2 Me Jamie, puisque si cette album est celui de l’expérimentation et de la maturité musicale pour Cudi, il se permet ici de livrer ce qui aurait pu être son meilleur morceau sur un album propre à sa mythologie. Les « nanana » et autre « hey » ont bonne place, les synthétiseurs sont apaisées, et son flow tranquille et sincère retrouve ici un espace vierge, à sa mesure. Il y a de bonne chances que ce soit ce morceau que vous remettrez en boucle en premier. Il s’éloigne de la lourde pesanteur, pause éléctropop planante nécessaire. Probablement un futur tube du à son contenu amoureux et ses synthés new wave.
Sur la planète WZRD, rien n’est jamais sûr, et les rêves futuristes s’évaporent, nous ramenant au solide, au terrien. Where did you sleep last night? Une reprise d’un classique américain, un morceau âgé de plus de 140 ans, dont l’auteur est inconnu, et que vous connaissez aussi sous le titre « Black Girl » ou « In the pines ». C’est en amoureux inquiet que Cudi s’essaye à la reprise, non loin des traces de Kurt Cobain, duquel il est un grand admirateur.
Le morceau suivant est celui qui surclasse mes autres coups de coeur. Efflictim est un morceau est doux, épuré, la guitare accoustique est minimale au possible, et sert pourtant d’ossature au morceau, sur laquelle viendra un moment s’ajouter un piano . Elle supporte aussi la ligne de chant, comme un appel, une prière, ou juste une confession, comme sait si bien le faire Scott Mescudi (The Prayer, sur sa mixtape « a kid named Cudi »). C’est le titre que certains trouveront chiants, tant il est différent du reste de l’album.
On reprend du poil de la bête avec l’avant dernier titre, Dr Pill, où l’on retrouve également le type de rythmiques chères à Cudi. A la première écoute, le titre ne m’inspire pas plus que ça, l’album est propre, varié et à la fois très cohérent dans ce qu’il nous propose, ce titre ne déroge pas à la règle, Dr Pill n’étant donc pas le plus passionnant après un tel déluge de pépites.
Le dernier titre revient sur les terres ancestrales du hip hop, Dot Dat Genius ayant apporté son meilleur tout au long du disque, termine avec une production impeccable, riche, probablement le titre où il s’est le plus éclaté. Les deux wizards sont ensemble sur cet Upper Room pour nous accompagner vers la fin de cette promenade dans leur univers et laissent enfin la lumière du soleil révéler les paysages empruntés. Un titre positif qui s’avère être la première bouffée d’oxygène après le coma. Retour à la réalité, les magiciens continuent le combat. On espère les retrouver un jour.
Pour conclure mes impressions après cette première écoute,il s’agit clairement d’un album de la maturité pour le jeune rappeur américain. On retrouve dans ses textes les messages habituels, son ouverture d’esprit, mais aussi d’autres ambiances, d’autres facettes, entité déjà trouble sur ses albums solos, décuplées ici par Dot derrière ses manettes. La collaboration entre les deux est un succès, même si certains pourront trouver le mélange des genres brouillons, parfois simplistes, la multitude de voies empruntées et la collection d’ambiance musicales sont cohérentes, propres à ce que l’on connaissait d’eux, à ce dont on les savait capables, mais révèle une véritable richesse, une plus grande ampleur, prenant justement des libertés avec certaines marques de fabriques, explosant les codes et les genres pour mieux se recentrer sur le projet de fond d’un artiste hors norme.
A écouter :
The Dream Time Machine
Love Hard
Teleport 2 Me, Jamie
Efflictim