Il revient de loin. De très loin même.
Bradford Cox est un musicien atypique. Au sein de Deerhunter et Atlas Sound il joue depuis plus de dix ans l’électron libre dans un étrange univers parallèle, un monde artistique sombre et triste habité par des freaks, des fantômes et des monstres intérieurs. Durant toutes ces années, ce fantasque chanteur originaire d’Atlanta a semé des pépites sur son chemin artistique sinueux, sous la forme de six albums dont certains ont vraiment bouleversé la vie de leurs auditeurs, comme Halcyon Digest le plus célèbre d’entre eux en 2010.
Le point commun de ses premiers disques est la noirceur. Qu’elle soit déclinée en mode dream-pop, avant-garde noisy, ou garage-rock, elle est omniprésente. Un abime de souffrance et d’obscurité dont il essaye de s’extirper par des déclarations et des attitudes très provocatrices.
Et puis sa vie a basculé. En décembre dernier il est victime d’un accident très grave. Une voiture l’écrase alors qu’il traverse la route. S’en suivent des longs mois de souffrance physique et mentale. Car une fois les douleurs apaisées survient une dépression sévère. Cox perd le gout de la vie et le plaisir des choses les plus simples.
C’est la musique qui va lui permettre de remonter la pente. Et son chien aussi. Une rédemption qui survient en écrivant Fading Frontier, son septième album. On s’attend alors à ce que nouveau disque atteigne des niveaux insondables de mélancolie et de noirceur morale. Et bien non. Pas du tout ! La résurrection après l’accident nous rend un Bradford Cox rayonnant, qui profite de la vie avec énergie. Le premier single publié de ce nouvel album est même un morceau funky. On rêve…
Le reste de l’album, découvert aujourd’hui, est de loin le plus accessible et pour moi le meilleur de ce qu’il a jamais écrit. Le disque a été enregistré à Atlanta en formule de quatuor (Bradford Cox, Lockett Pundt, Moses Archuleta, et Josh McKay) et produit par Ben H. Allen , à qui on doit Halcyon Digest et le chef d’œuvre d’Animal Collective Merriweather Post Pavilion. On retrouve aussi en featuring deux invités prestigieux : Tim Gane de Stereolab (harpe électronique) et James Cargill de Broadcast aux claviers.
Les influences multiples de ce disque ont été publiées sous la forme originale d’une « carte des Influences« , sur laquelle on identifie entre autres R.E.M, Tom Petty, Al Green, Caetano Veloso et … INXS plus Tears For Fears ! Les chansons de l’album sonnent de manière classique, claires et lumineuses, relachées et propres sur elles, mais attention de ne pas trop se fier à leur façade extérieure. Les textes restent obnubilés par la mort et la survie, et marqués par les mois de la difficile convalescence de Cox.
Un disque-faux ami tout en brillant et strass mais qui dissimule des gouffres de ténèbres. En tout cas c’est une certitude : Fading Frontier est l’un des disques de l’année. On peut déjà parier qu’il sera dans le top 10 (5 ?) de 2015.
Une Sublime rédemption artistique.
Fading Frontier. 4AD. Sortie aujourd’hui.